M'étant laissé surprendre par un
micro-sommeil dans le trolley, j'ai raté mon arrêt et ne m'en suis
aperçu qu'une septaine d'arrêts plus loin, au niveau de Popocatépetl / Saratoga (ligne A, Terminal Norte - Terminal Sur).
L'affaire commence à devenir légèrement
ennuyeuse lorsque que je me rends compte que je n'ai pas les quatre pesitos nécessaires à ma rétro-transportation, les chauffeurs ne rendant pas
la monnaie.
Il est 19h et il fait nuit.
Fort heureusement, un accort établissement me suggère qu'une cerveza serait la bienvenue et me
permettrait de transformer un billet en petite monnaie.
J'investis alors les lieux et me trouve
illico dans une salle genre entrepôt désaffecté.
Les tables croulent sous le poids de
gigantesques chopes plus où moins remplies d'un liquide blanc, qui
doit avoir des effets aléatoires sur le comportement humain,
puisque certains consommateurs dorment sur leur table, d'autres
chuchotent avec des airs de conspirateurs, d'autres encore parlent
fort avec de grands gestes…
Je me vois vite informer qu'en ce lieu
point n'est servie la cerveza par moi convoitée, et qu'on ne sert
que ˝puro pulque˝.
Je me trouve donc dans une pulquería.
Sans hésitation, je dis que ça ira, me
réjouissant par avance d'ajouter cette expérience inattendue à mon
bagage mexicain.
—˝Blanco˝ me demande le
loufiat ?
—˝Claro˝, lui répons-je
avec assurance, ignorant qu'il existât des couleurs de pulque.
A l'aide d'une louche en plastique, il
puise dans un grand tonneau de bois peint et emplit une chope d'un litre
qu'il pose fortement sur le zinc, en échange de 15 pesos.
Me voici donc face à mon
premier pulque, l'instant de la révélation approche.
C'est marrant, mais je ne suis pas
impatient d'ingurgiter le breuvage.
La couleur et la consistance font
immanquablement penser à un liquide biologique autant que séminal
que j'ai rarement eu la chance d'observer dans une chope et surtout
en telle quantité.
L'odeur est fade et peu engageante pour ne pas dire franchement déplaisante.
Quant au goût, une fois que l'on s'est
livré aux constations ci-dessus, la première gorgée est assez
délicate, et seul mon fort tempérament me permet d'empoigner le
récipient et de le porter à mes lèvres sensuelles.
C'est tiède, épais, gluant, peu
agréable au palais, ça picote et mousse comme une bière un peu
éventée.
J'estime d'ailleurs le degré d'alcool
comparable.
˝La boisson des Dieux˝,
que cela s'appelait au temps des Aztèques.
Tu parles, Charles !
Buvant le calice jusqu'à la lie, je
vide le litre en deux ou trois fois et quatre ou cinq minutes, tout
en observant le comportement des mes quasi-semblables réunis en ce
lieu.
Certains titubants viennent au bar
chercher des litres de pulque dans un seau en plastique orange, qui
leur est rempli au moyen d'une louche de même métal.
Une dame astique le carrelage avec une serpillère qui ferait dégueuler un putois.
Une autre dame, qui pourrait être la
maman de Moctezuma, ânonne des trucs improbables en tenant par le
cou un campesino qui n'entend visiblement plus rien, le flou de son
regard en disant long sur le volume de Boisson des Dieux absorbé.
Mine de rien, le pulque doit avoir des
propriétés de métabolisation foudroyantes, car je me
retrouve rapidement sur un plancher flottant.
Pas une tempête, hein, juste un petit
roulis, mais quand même.
Du coup, afin d'éliminer, je rentre à
pied et ça me fait beaucoup de bien.